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Chapter 1 - Chapitre 1 — Le Soupir des Possibles

L’univers ne débuta pas avec un Big Bang, ni avec une parole divine.

Il débuta dans un silence si profond qu’il brisa la structure même de ce que nous appelons “début”.

Une absence qui précéda toute présence. Une tension avant toute vibration.

Dans un monde où chaque idée peut se concrétiser quelque part, la réalité n’est pas linéaire.

Elle est modale — un océan infini de branches d’existence, de versions, de causes simultanées.

Dans cette infinité, un monde nommé Élethis était sur le point de se rompre.

Cité d’or suspendue entre deux pôles dimensionnels, Élethis n’existait que parce que d’autres versions d’elle-même l’imaginaient. Sa géométrie flottait entre les perceptions. Les lois y obéissaient à un équilibre millénaire entre le Tao, le Verbe divin et les Architectes Logiques — entités métalogiques censées stabiliser les fondements du réel.

Mais ces équilibres, fragiles, montraient des fissures.

Depuis quelques cycles, un murmure invisible traversait toutes les strates de causalité.

Un souffle impossible à localiser. Une absence si dense qu’elle absorbait les regards, les idées… les lois elles-mêmes.

Kaelen s’agenouillait au sommet de la Terrasse de l’Épure, les yeux fermés, méditant sur le Flux.

Il portait la robe marquée du Tao Divisé — un ordre ancien qui vénérait la Convergence entre les possibles. Sa respiration suivait le rythme lent des particules modales : il en sentait les courants, les angles, les contradictions douces.

Mais ce jour-là, quelque chose clochait.

“Le Souffle de l’Origine… ne répond plus.”

Le Maître Causal l’avait dit la veille, avant de se dissoudre dans le Néant-Non-Causal, un état qui n’existait que lorsque les fondements du Réel étaient confrontés à quelque chose qu’ils ne pouvaient absorber.

Kaelen n’avait pas compris. Mais maintenant… il sentait.

Quelque chose, au-delà du possible, glissait sous les mondes comme une idée sans support.

Pas une présence. Plutôt une annulation fondamentale.

Un battement sourd résonna dans l’air. Pas un son. Une idée de son.

Les piliers autour de la Terrasse vibrèrent… puis semblèrent oublier qu’ils avaient été construits.

Kaelen se redressa lentement.

“Tu es là, n’est-ce pas… Toi que même les possibles ne contiennent pas.”

Dans les sphères supérieures d’Élethis, les Archidiacres Théologiques convoquaient une urgence.

Ils lisaient des versets anciens gravés sur des plaques fractales, en plusieurs couches de réalités. Le langage utilisé n’était pas linéaire — chaque phrase existait à plusieurs niveaux d’interprétation modale, et leur sens variait selon la conscience de l’observateur.

Mais une ligne revenait en boucle, peu importe la lecture :

“Lorsque la réalité doute de sa propre existence, le Silence se souvient.”

Les dieux les plus anciens commencèrent à faiblir. Certains se retirèrent dans des sanctuaires temporels, d’autres tentèrent de négocier leur cohérence avec les lois narratives elles-mêmes.

Tous échouèrent.

Car cette “chose” qui approchait — ou qui était déjà là — ne marchait pas sur les règles.

Elle ne les contournait même pas. Elle les absorbait… en niant la pertinence de leur existence.

Dans une dimension reculée, un moine du Tao médite sur un lotus inversé.

Il entrevoit, dans un instant de pure résonance, une silhouette debout dans un espace sans coordonnées.

Pas noire. Pas lumineuse.

Elle est là sans être.

Le moine pleure. Il comprend ce qu’il voit, mais aucun mot ne peut le traduire.

Et dans cette compréhension brute, il meurt — non pas physiquement, mais en tant que pensée définie.

Son être est maintenant dilué dans une forme de perception qui n’appartient à aucun monde.

Retour à Kaelen.

Les bâtiments autour de lui semblent fondre non pas dans l’espace, mais dans la logique même qui les définissait.

Il recule, lentement.

Quelque chose s’avance… mais il ne le voit pas. Il voit l’absence de tout ce qui devrait exister quand “quelque chose” s’approche.

Une voix chuchote, non dans ses oreilles, mais dans les espaces entre ses pensées :

“Il n’y a jamais eu de commencement.”

Kaelen tombe à genoux.

Ses souvenirs vacillent. Le sol s’efface. Le concept de “position” devient flou.

Et au centre de ce désastre ontologique, une forme surgit enfin.

Pas vue. Pas entendue. Juste… ressentie.

Comme si le Réel entier se souvenait d’un oubli plus ancien que lui.

Et ce nom, dans un souffle, franchit ses lèvres sans qu’il ne le connaisse :

— Anameon…

La Terre tremble dans plusieurs mondes à la fois.

Les lois taoïstes se replient sur elles-mêmes.

Les fragments du Verbe Divin brûlent dans les hauteurs célestes.

Et dans une page de l’histoire que personne n’a encore écrite, une phrase résonne :

“Tout ce que vous croyez comprendre… existe uniquement parce que cela n’est pas Lui.”

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