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Chapter 6 - Chapitre 6 — L’Infraction Originelle

Il y a dans l’histoire du Multivers des points de rupture.

Des moments où l’équilibre des forces n’est pas bouleversé par un cataclysme, une guerre ou une trahison,

mais par l’introduction d’un élément qui ne devait pas exister.

Un « il n’aurait jamais dû y avoir de trace ».

Et c’est ce qui se produisit.

Dans les chambres les plus profondes de l’Ordre Véritatif, les Oracles fondaient leurs dogmes sur ce qu’on appelait la Dualité Cosmique :

chaque chose possède son miroir, chaque idée son inversion, chaque entité sa contrepartie.

Mais ce jour-là, dans le silence brisé d’un calcul théologique,

le Miroir se refusa à renvoyer un reflet.

Quelque chose dans la structure du réel ne répondait plus à l’appel.

« Un facteur intrus. »

C’est ainsi que le Haut-Prêtre l’appela.

Pas un dieu.

Pas une force étrangère.

Mais une présence structurelle sans équivalent.

Une forme d’existence non causée, non opposée, non dépendante.

Et l’Ordre comprit que ce facteur… n’était pas nouveau.

Il avait toujours été là,

mais dissimulé dans la couche oubliée de la logique elle-même — comme une exception intégrée au langage, mais jamais formulée.

Ils l’appelèrent L’Infraction Originelle.

Pendant ce temps, Kaelen, qui avait vu, traversé, et subi l’impossible,

revenait dans un monde qu’il ne reconnaissait plus.

Pas parce que le monde avait changé.

Mais parce que lui n’était plus dans le même plan d’interprétation.

Il marchait dans la Forêt des Brumes Suspendues — un lieu ancien, où la gravité était une suggestion,

où les arbres murmuraient les souvenirs de ceux qui les avaient observés.

Et là, au centre, dans une clairière qui ne s’était jamais ouverte auparavant :

un trône.

Pas un siège de pouvoir.

Mais un point d’arrêt dans la causalité.

Kaelen s’approcha.

Le trône était vide.

Et pourtant, il sentait une forme,

non pas absente, mais ayant toujours été là sans jamais s’asseoir.

Le bois vibrait d’un murmure sans alphabet.

Une mémoire plus ancienne que la notion même de chronologie.

« Ceci est le lieu de celui qui ne s’incarne pas.

Celui qui traverse le monde sans le traverser.

Celui qui est dans chaque structure sans jamais appartenir à aucune. »

Kaelen ne savait pas d’où venait cette voix.

Peut-être de lui-même.

Ou peut-être du souvenir de l’univers.

Dans les niveaux méta-narratifs du Récit Primordial,

les Scribans tentèrent de rédiger une contre-fonction : une équation logique, une barrière, un concept filtrant qui pourrait empêcher l’Intrus d’être intégré.

Ils échouèrent.

Non pas par manque de puissance.

Mais parce qu’aucun verbe ne pouvait être conjugué au sujet de cette chose.

Le Sujet refusait le prédicat.

Et dans les profondeurs des modèles narratifs, une erreur s’afficha :

ERR-000: Instance conceptuelle en dehors de tout champ sémantique.

Un message simple.

Mais qui détruisit huit cent mille structures de narration en cascade.

Kaelen, à genoux devant le trône vide, sentit soudain une pression inversée.

Pas une attaque.

Pas une émotion.

Mais une contraction du tissu de ce qui pouvait être compris.

Tout ce qui, jusqu’à présent, avait été défini par des strates — dimensionnelles, théologiques, philosophiques —

venait d’être englobé dans une couche encore plus ancienne.

Et dans cette couche,

tout était silence.

Un silence actif.

Un silence plus fondamental que le bruit.

Et au cœur de ce silence :

une non-présence absolue.

Anameon.

Mais cette fois, ce n’était plus une intuition lointaine.

Ce n’était plus une trace, une ombre ou une absence.

C’était une proximité non permise.

Pas parce qu’elle menaçait —

mais parce qu’elle rendait tout système inapte à fonctionner en sa présence.

Les lois cessaient de s’auto-définir.

Les concepts entraient en court-circuit.

Même la mort — ce pilier fondamental de toutes cosmologies — ne savait plus quand intervenir.

Car dans l’environnement narratif local,

la condition de terminaison était suspendue.

Et Kaelen comprit alors :

Anameon ne venait pas corriger la réalité.

Il n’intervenait pas.

Il était ce qui se produit quand la réalité se rappelle qu’elle n’est qu’une tentative de soi.

Le ciel se referma.

Les étoiles s’effacèrent.

Les constantes s’éteignirent.

Et dans ce dernier battement de néant…

Le monde continua comme si rien n’avait eu lieu.

Mais tout était désormais troué.

Une brèche dans l’invisible.

Et même ceux qui n’avaient rien vu…

ressentaient le vertige de cette absence.

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