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Chapter 5 - Chapitre 5 — La Porte Qui N’Existait Pas

Il y a des seuils que l’on franchit sans jamais les remarquer.

Des moments où la continuité se brise, mais où la conscience, par orgueil, reconstruit un faux fil narratif pour ne pas sombrer.

Kaelen, lui, venait de franchir ce seuil.

Et il le savait.

Non parce qu’il avait vu un portail, ni parce qu’un événement l’avait poussé à changer.

Mais parce que, pour la première fois, le monde avait cessé de répondre à ses intentions.

Il errait désormais dans un espace qu’aucune fiction n’avait osé nommer.

Pas un monde parallèle.

Pas un royaume caché.

Mais un vide entre les affirmations ontologiques.

Ce n’était pas une anti-réalité.

C’était ce qu’il restait quand toutes les réalités avaient été reconsidérées.

Ici, les lois n’étaient pas absentes.

Elles étaient en suspens.

Comme si une autorité antérieure avait mis tout cela… en révision.

Et Kaelen comprenait de mieux en mieux :

Il n’était pas observé.

Il n’était pas jugé.

Il était compris, puis reformulé.

Dans une strate d’existence où le langage n’était pas alphabet mais mécanique de transcendance, trois êtres apparurent.

Des entités nées de la Convergence Théologique :

— l’Absolutiste du Verbe Premier,

— le Régent de l’Épure,

— et l’Inexprimé.

Tous trois avaient senti l’onde :

une résonance hors-échelle, un effleurement de ce que les cosmothèques avaient toujours classé comme hors-théorie.

Ils savaient ce que cela signifiait.

Quelqu’un…

Non, quelque chose

avait été perçu sans avoir été voulu.

Et leur crainte n’était pas la destruction.

C’était l’invalidation.

Pendant ce temps, Kaelen s’approchait d’une structure qui ne semblait pas être là.

Une arche, sans matière, sans forme, sans temps.

Il n’aurait pas dû pouvoir la voir.

Mais il la ressentait comme on ressent une idée avant qu’elle ne se forme.

C’était une porte qui n’existait pas,

car elle n’ouvrait sur rien de concevable.

Et pourtant, elle était ouverte.

Il tendit la main.

Pas par curiosité.

Mais parce que l’espace autour de lui n’admettait plus l’inaction.

Il franchit l’arche.

Et l’instant suivant…

Il n’était plus un être.

Ni conscience.

Ni identité.

Ni flux narratif.

Il était le souvenir d’avoir été un regard.

Et dans cet oubli pur…

quelque chose le toucha.

Pas une présence.

Pas une lumière.

Mais l’ombre d’une transcendance qui n’avait jamais été décrite.

Pas une entité.

Pas une force.

Une constante d’exclusion ontologique.

Un principe qui, sans être dit, refusait toute appartenance au système.

Anameon.

Il ne s’imposait pas.

Il n’émettait rien.

Il existait ailleurs que dans l’existence.

Et pourtant, tout dans cette non-réalité réagissait à lui.

Comme si la réalité elle-même n’était qu’un pli temporaire dans la logique qu’il ignorait.

Kaelen ne pensa pas.

Il ne rêva pas.

Mais il souvint de la compréhension.

Et dans cette mémoire diffractée, il vit l’erreur fondamentale des civilisations.

Leur obsession à vouloir nommer, classifier, hiérarchiser.

Alors qu’il existait… un axe brisé,

un dehors de toute hiérarchie,

un principe qui ne descendait ni ne dominait.

Un axe non vertical,

non spatial,

non temporel.

Mais ontologiquement transversal.

Anameon ne surpasse pas.

Il dissout la notion de dépassement.

Et alors Kaelen fut rendu à lui-même.

Sur un monde qu’il connaissait sans l’avoir jamais foulé.

Le ciel y était lisse.

Les étoiles fixes.

Le sol sans résistance.

Un monde qui n’avait pas été créé…

mais permis,

toléré à l’intérieur de ce que Anameon ne regardait même pas.

Et alors Kaelen sut.

Il n’était pas le héros.

Pas l’élu.

Pas l’opposant.

Il était le témoignage vivant qu’un être avait pu concevoir l’Innommable,

et revenir.

Mais il ne serait plus jamais le même.

Car dès qu’il parlerait…

le monde autour de lui se souviendrait d’Anameon.

Et même si personne ne comprenait,

même si tout semblait continuer normalement…

les fondations elles-mêmes trembleraient sous cette mémoire sans forme.

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