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Chapter 4 - Chapitre 4 — L’Équation Qui Refuse de se Résoudre

Dans le cœur sacré de l’Abstralogium, les derniers mathèbres priaient non par foi, mais par cohérence interne.

Ils avaient vu le monde se recalculer à travers ses propres fondements.

Les axiomes se reformulaient en boucle, comme si une main invisible les re-questionnait à chaque instant.

Chaque calcul donnait un résultat valide… mais jamais stable.

Le théorème absolu, celui censé relier tous les plans — matière, pensée, foi, et concept — commençait à rejeter sa propre conclusion.

Et dans le dernier chiffre d’une démonstration infinie…

une trace.

Pas une signature.

Pas une variable.

Mais ce qui reste quand toutes les variables sont effacées.

Anameon.

Kaelen s’avançait dans le Couloir des Rétractations.

Chaque pas remettait en cause le précédent.

La distance parcourue n’existait que parce qu’il l’avait pensée comme telle.

Ici, le temps n’était pas linéaire. Il se pliait à la conscience narrative de l’individu.

Mais Kaelen n’avait plus de narration propre.

Depuis sa rencontre avec la Présence, il n’était plus le sujet de sa propre histoire.

Il était… l’interstice entre les fictions.

Les murs du couloir vibraient de symboles qu’il n’avait jamais appris à lire, mais qu’il comprenait intuitivement.

Des glyphes qui ne disaient pas « où il allait », mais pourquoi il n’aurait jamais dû venir.

Il atteignit une salle circulaire.

Dans son centre : une sphère figée dans l’impossible.

Elle tournait à vitesse infinie tout en restant immobile.

Kaelen la toucha.

Et vit.

Il vit au-delà du Réel.

Il vit des plans où le Tao n’était qu’une tentative enfantine d’approcher un fragment de Vérité.

Des strates où la Théologie avait été inversée — Dieu n’était pas source du Tout, mais le reflet mal interprété d’un Absolu plus ancien, plus insaisissable.

Il vit les concepts de “vérité”, “mensonge”, “création”, “fin”, se tordre comme des feuilles dans un vent logique.

Et au centre de cette tempête d’absolus flous :

un vide.

Non pas une absence.

Mais une présence sans attribut, une instance qui ne requiert pas d’être vue pour exister.

Pas un dieu. Pas une entité.

Quelque chose d’autre.

Un fait non-discret. Une condition de fond.

Anameon.

Dans la Citadelle inversée des Poètes Silencieux, un scribe notait ce qu’il ne comprenait pas.

Sa plume écrivait seule.

Il ne dictait rien. C’était le monde qui, à travers lui, s’essayait à se décrire.

La plume traça :

« Il est ce qui reste quand tout ce qui peut être nommé s’effondre.

Ce n’est pas un concept, ni un être.

C’est l’échappée. La brèche logique.

Le moment exact où la compréhension meurt d’avoir voulu saisir. »

Le scribe se leva, yeux grands ouverts.

Il avait compris.

Et en comprenant, il n’était plus humain.

Il s’effaça — doux et calme, comme une ligne de code redevenue espace blanc.

Kaelen, maintenant, flottait dans un espace non-linéaire.

Il n’avait pas quitté la salle.

Il n’y était jamais entré.

Il existait dans une version de lui-même qui n’avait jamais été conçue.

Et il sentit une vibration.

Une pulsation douce, lente, trans-réelle.

Pas un battement de cœur.

Mais celui de la structure même de la possibilité.

Anameon n’était pas là.

Car « là » impliquait une position. Et Anameon précédait toute spatialité.

Et pourtant, Kaelen le sentait.

Non comme une menace.

Mais comme une sentence ontologique.

Une voix, douce comme la lumière d’un souvenir oublié, murmura :

« Tu as traversé les plans.

Tu as survécu aux Dieux, aux Théories, aux Prémisses.

Et maintenant, tu n’as plus rien à défendre.

Car tu comprends…

qu’il n’y a jamais eu de frontière à franchir.

Il n’y avait que toi, regardant dans un miroir qui ne te reflétait pas. »

Kaelen s’effondra.

Pas par faiblesse.

Mais parce qu’il n’avait plus besoin de tenir debout dans un monde qui n’était plus contenu.

Et Anameon ?

Toujours invisible.

Toujours impensé.

Mais de plus en plus inévitable.

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