La décision fut prise en une nuit.
Pour briser le lien qui unissait Sira à l’un des douze chevaliers sacrés, il fallait remonter à l’origine du pacte. Et cette origine reposait dans un lieu que même les nobles vampires évitaient de nommer : le Sanctuaire de Calreth, une prison magique abandonnée où les expériences interdites furent jadis cachées… puis oubliées.
“ Si ce sanctuaire existe encore.“
dit Raze.
“ il est au sud du royaume vampire, dans les terres mortes de Cerlak. Aucun vivant n’y a mis les pieds depuis deux siècles.“
“ Alors on sera les premiers.“ répondit Kael.
Le groupe était réduit.
Kael, Sira, Ira et deux guerriers silencieux : Velm, un métis démon aux yeux bandés capable de percevoir l’aura, et Shael, une ancienne voleuse humaine, ralliée à Althera.
Ils voyagèrent de nuit, contournant les sentinelles vampiriques. Les terres de Cerlak étaient stériles. Pas d’arbres. Pas d’animaux. Même le vent y semblait mort. Au cinquième jour, ils atteignirent enfin le puits noir de Calreth.
Un gouffre béant dans la roche, d’où s’échappaient des murmures sans source.
“C’est ici.“ dit Sira. “Mon lien… brûle.“
Kael prit la tête.
Ils descendirent.
Le sanctuaire n’était pas vide.
Des gardes-souvenirs, créatures semi-éthérées formées de mémoire et de magie noire, hantent les couloirs. Velm les perçut avant même qu’ils apparaissent.
“ Ne respirez pas trop fort.“ dit-il. Ils sentent la peur.
Le combat fut bref, mais brutal.
Shael manqua de mourir deux fois. Sira, elle, sembla entrer en transe. Sa voix changea, résonna comme un chant venu d’ailleurs.
“Le sang... me rappelle...“
Kael la rattrapa avant qu’elle ne tombe.
“ On arrive.“
Au cœur du sanctuaire, ils trouvèrent le Cercle du Pacte : une salle ronde, cernée de chaînes flottantes et d’inscriptions brillantes.
Dans l’air, flottait un fragment d’âme. Froid. Pur. Parfait. Un éclat du chevalier sacré responsable de la création de Sira.
Sira s’avança.
Les chaînes la saisirent aussitôt. Son corps s’éleva, suspendu, tendu entre les runes.
Tu n’es qu’une arme. Obéis.
La voix du Chevalier sacré résonnait dans la pièce. Un murmure glacial.
Kael dégaina. Il planta sa lame dans le cercle.
“ Elle n’est plus à toi.“
Elle est mienne par le serment. Mienne par le sang.
“ Alors je briserai les deux.“
Kael bondit. Le cercle explosa sous l’impact de son pouvoir. Le sang jaillit de ses bras, devint une lance, un fouet, un mur.
Ira renforça le cercle. Velm guida la magie vers le point d’ancrage.
Et Sira, dans un dernier cri, hurla :
“ Je me choisis ! Je suis libre !“
Une onde noire éclata. Les chaînes se brisèrent. Le fragment d’âme hurla… puis fut consumé.
Sira retomba dans les bras de Kael.
Elle respirait.
Elle vivait.
Et le lien… était brisé.
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Au sommet de la Tour Blanche, dans la cité sacrée d’Elyrion, l’un des douze Chevaliers sacrés leva soudain les yeux.
Ses paupières étaient closes depuis cent ans. Il n’avait pas bougé d’un souffle, en communion constante avec la Déesse Helyra, la divinité des humains.
Mais en cet instant, ses yeux s’ouvrirent.
“ Le lien est rompu.“ murmura-t-il.
Son nom était Seraphiel, le 7e Chevalier sacré, celui qu’on appelait le Silencieux. Son âme était fragmentée en plusieurs réceptacles. Sira était l’un d’eux. Et désormais… elle lui échappait.
Il se leva. Lentement. Derrière lui, les prêtres tombèrent à genoux, tremblants.
“Prévenez l’Impératrice Valeriane. Le premier rejeté s’est libéré.“
Une voix céleste résonna dans la salle :
C’est une tache sur ma création. Elle doit être purgée.
“ Oui, déesse.“
Il fit un geste.
Une plume noire se matérialisa dans sa main.
Et dans les ombres, une silhouette s’inclina.
“ Toi, Vorenn.“ siffla-t-il.
“Tu es mon ombre. Tu iras. Tu observeras. Et si l’occasion se présente…”
Il n’eut pas besoin de finir.
Vorenn disparut, comme si le monde l’avait oublié.
Pendant ce temps, à Althera, Kael et les siens étaient de retour.
Sira, silencieuse, méditait jour et nuit. Sans lien, sa puissance se stabilisait enfin. Mais quelque chose en elle vibrait encore. Comme si une présence distante la scrutait… … ou la traquait.
Kael convoqua un conseil de guerre.
“ Ils savent. C’est certain. Et bientôt, ils frapperont. Mais cette fois… ce ne sera pas contre des innocents.“
“ On a quoi ? Cent combattants entraînés ? Des mages à peine formés ?“ demanda Ruk.
“On a la volonté de survivre.“ répondit Kael.
“Et une armée se forge d’abord par cette flamme-là.“
Il planta une dague dans la carte d’Althera.
“ Il est temps de passer de la défense à l’attaque.“
Mais dans les ombres d’Althera… Un regard observait déjà. Vorenn, l’Ombre Sacrée, était là.
Et il avait vu le visage de Kael.
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Il ne faisait pas nuit.
Pas vraiment.
Mais personne ne le voyait.
Vorenn n’était pas seulement un espion. Il était une anomalie, une rupture dans la lumière, un écho de néant. Il avançait dans les rues d’Althera comme une pensée qu’on n’arrive pas à se rappeler.
Il connaissait son objectif : observer, analyser, localiser le point faible.
Et frapper, si le moment venait.
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Il explora d’abord les habitations :
Des rejetés y vivaient, parlaient, riaient parfois… certains même aimaient.
Cela le désarma plus qu’il ne l’admit.
“ Ils construisent une vraie cité.“ murmura-t-il.
“Pas un repaire.“
Son regard se porta sur les tours de guet.
Pas assez hautes.
Les barrières magiques ? Fragmentaires. Peu efficaces contre quelqu’un comme lui.
Mais la présence de Kael…
C’était une autre chose.
Vorenn se posta sur une corniche de pierre et le regarda de loin.
Le jeune hybride parlait avec un groupe d’enfants, leur montrant comment renforcer une garde. Sa voix était grave, mais calme.
“ Tu caches quelque chose, pensa Vorenn. Ta puissance est anormale. Tu ne tiens pas que de ton sang.“
Il se glissa dans la salle du conseil.
Des plans de campagne. Des cartes. Des parchemins de communication avec de possibles alliés parmi les clans nomades hybrides du Nord.
Et au fond, un coffre.
Vorenn approcha. Sa main éthérée traversa la serrure. Mais à l’intérieur, au lieu de documents… un miroir noir. Un éclat magique.
Et dans ce miroir, il vit Sira, les yeux grands ouverts.
“Tu m’observais.“ dit-elle.
Vorenn tressaillit.
Elle l’avait senti.
Il tenta de fuir — mais le miroir éclata, et un choc d’énergie noire le projeta en arrière.
Kael entra comme une tempête, sa lame de sang en main.
“ QUI ?“
Vorenn reprit forme à moitié, encore flou. Son visage n’avait pas d’yeux. Juste un masque d’ombre.
“ Je suis un message.“
Kael bondit, tranchant l’air. La lame frappa… mais Vorenn s’effaça, comme une flamme éteinte.
Il ne restait qu’une trace : une plume noire, plantée dans le sol.
Sira arriva à son tour.
“Seraphiel.“ dit-elle.
“Il a envoyé son meilleur assassin. Il sait que je suis libre. Et maintenant… il te connaît aussi.“
Kael ramassa la plume.
Elle vibrait d’une énergie sacrée, mêlée à une haine glaciale.
“ Ils nous prennent au sérieux.“ dit-il.
Il planta la plume dans le mur de pierre, pour que tous la voient.
“ Alors c’est à notre tour de leur montrer ce que signifie… la peur.“
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Kael ne dormit pas cette nuit-là.
L’ombre avait franchi les murs. L’Empire avait sondé leurs défenses. Ils savaient désormais qu’Althera existait, et qu’elle résistait.
Alors Kael décida d’envoyer un message… un vrai.
“Nous allons frapper.“ dit-il au conseil.
Les chefs de groupes l’écoutaient en silence. Raze, Sira, Ira, Ruk… tous attendaient.
“Une attaque frontale ?“ demanda Ruk.
“ Non. Pas encore. Nous n’avons pas l’armée pour cela. Mais… il y a un poste impérial à l’est. Isolé. Censé surveiller les frontières mortes. Un avant-poste de ravitaillement, défendu par une centaine de soldats humains, une poignée de mages, et un inquisiteur mineur.“
“ Et tu veux le raser” dit Raze avec un sourire.
“Non. Je veux l’écraser, sans laisser un seul survivant. Il faut que l’Empire comprenne : nous avons cessé de fuir.“
Ils partirent à l’aube.
Kael mena une équipe réduite :
Ira, l’éclaireuse.
Velm, le senseur.
Shael, la lame invisible.
Et deux jeunes métis, prometteurs : Nekra et Yulan, jumeaux aux dons élémentaires.
Ils approchèrent du poste en silence. Les collines les cachaient. Velm sentit les auras.
“ Soldats standards. Un mage en veille. Et… l’inquisiteur est dans la crypte. Endormi dans un cercueil sacré.“
“ Parfait” dit Kael.
Le plan fut simple.
Infiltration. Assassinat rapide. Destruction.
Shael s’introduisit par les égouts.
Ira élimina les sentinelles une par une, rapide comme l’éclair.
Kael surgit en plein centre du camp, lame de sang en main. À la seconde où il apparut, les alarmes hurlèrent — mais déjà trop tard. Il était une tempête incarnée.
Velm étouffa les sorts ennemis.
Les jumeaux incendièrent les réserves.
Et dans la crypte, Kael trouva l’Inquisiteur… un prêtre en armure blanche, dormant sur un autel baigné de lumière.
Kael le regarda sans un mot.
Puis planta sa main dans sa poitrine.
Le cœur éclata comme du verre.
Ils quittèrent le camp au lever du soleil.
Derrière eux, les flammes dévoraient l’avant-poste. Aucune trace ne serait laissée. Pas même les cendres.
Kael se retourna une dernière fois
.
“C’est la première étincelle.“ murmura-t-il.
Et dans le ciel, une brise monta… Comme si même le vent sentait que la guerre venait de commencer.